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Tunis, Cap TGM

Ce recueil de nouvelles, accompagné de photos de Marianne Catzaras a été édité à Tunis aux éditions Arabesque fin 2009. Nous vous en proposons un extrait.


Et si Dieu allait me punir…

 

« Et si Dieu allait me punir », me demanda d’une voix serrée ma voisine de Twingo ? Elle me fixait d’en dessous, consciente de la naïveté de sa question, soudain effarée par ce nouveau cataclysme qui lui déboulait sur le râble. Quelques instants auparavant je l’avais cueillie au coin de Roosevelt et de Mamie-Lily, à l’ombre de ce qui fût le mythique Casino, remplacé depuis par une énorme pièce montée, genre gâteau-pour-mariés-qui-s’ennuient-déjà…Bien contente- cf. son soupir d’aise lorsqu’elle s’affala sur les coussins accueillants de ma fidèle Jeannette Patte-Patte- d’échapper ainsi à une bizarre bruine de Mai-« Ah, Monsieur François tout va de travers ces temps-ci ! ».

 

J’avais tout de suite perçu quelque chose qui clochait. Elle avait d’habitude à cœur d’être d’autant plus pimpante et emperlouzée qu’elle se savait grande, gauche et carrément courbée vers l’avant, avec ce léger roulis à gauche qui désarçonnait l’impétrant. Ce jour-là, elle était grise, ratatinée et s’accrochant à son sac en crochet-doublé-de-cretonne-à-fleurs-bleues comme une noyée à sa bouée orange !Bien entendu je ne parlais que pluie, beau temps et vacances prochaines…

 

« Alors, ma chère voisine, vous allez partir en famille sur les douces routes de France, comme chaque année ? Embarquer au port de La Goulette et gagner par petites étapes votre Quercy chéri et ses délices au foie gras ! »

 

« Ah, non, Monsieur François, pas cette année ! » Très gros soupir. Sac trituré dans tous les sens. Souffre beaucoup. Le sac, et Madame itou. « Cette année, dit-elle d’une voix cassée de petite fille estourbie, nous ne partirons pas en vacances. »

 

Et là, au lieu, discret et bien élevé, de m’en tenir au seuil de ce que je découvrais soudain comme une grande douleur, et de bifurquer vers une réponse du genre : « Ah et puis, ma chère voisine, le bord de mer, où nous sommes si bien, offre d’agréables balades et trempettes… » je me tournais vers elle. Elle m’intriguait cette dame qui marchait en crabe, qui paraissait toujours s’excuser d’être là, comme si, mariée, nantie, et mère de famille elle ne savait au juste où était sa place…J’avais aperçu sa mère, une après-midi où j’avais été vaguement convié à ces interminables rencontres du dimanche où les familles tunisoises, comme dans un remake des années cinquante, se rassemblent autour de leurs deux autels, la Télévision et le Plateau à Pâtisseries cuites dans le miel. La mère, native de Cahors, se tenait droite, à la place d’honneur, le chignon dru, les genoux serrés. Elle avait été enlevée, au tournant des années twist, par un jeune sfaxien tout en sourires, venu apprendre les secrets de la teinturerie chez son père. Unique et fabuleuse folie de toute une vie, qu’elle expiait du soir au matin, et du matin au soir. De toute petite naissance, mais blonde, elle exprimait des idées bien arrêtées  sur ce que ma chère Tante Antonia appelait le « comme il faut » et qu’elle prononçait avec une once de dérision « comifo ». « Ma fille, on doit faire ceci, et on ne doit pas faire cela, on doit se comporter comme ceci et non comme cela, tient le toi pour dit ! » De quoi épanouir aussi sec une fille unique…

 

Prénommée Myriam, celle qui élève, prénom biblique d’antique résonance, la petite avait dû se coltiner le catéchisme et naviguer, prudente, genre gardez-vous-à-droite-gardez-vous-à gauche entre Jésus et Mohamed. Pas étonnant qu’elle avançait de travers. Elle n’avait pas, chose assez rare, renié sa foi lorsqu’elle se maria en falbalas avec le fils ingénieur de l’associé de son père, devenu, lui, un commerçant aisé, regardant à la dépense et bien moins souriant qu’en ses vertes années..

 

Et je lui dit de mon ton de confesseur : « Chère Myriam, qu’y a-t-il ? » Nous étions à la hauteur du très sévère fort espagnol à l’entrée de La Goulette, qui a longtemps servi de prison aux forbans du coin. Il impose autour de son vénérable quadrilatère tenue furtive et  voix sourde. Dans un soupir d’autant plus poignant qu’il se voulait inaudible, elle lâcha du bout des lèvres : « Je vais divorcer » Elle n’en pouvait plus de désarroi, de solitude. Elle continua, toujours mezzo voce : « Mais que cela reste entre nous », comme si c’était, haram, péché,.. et qu’elle n’osait le rendre public. Je ralentis l’allure comprenant que, les vannes ouvertes, elle allait maintenant dévider toute sa peine et ses peurs, entre les deux lacs secoués de petites vaguelettes nerveuses…

 

« Cela ne date pas d’hier, Monsieur François, vous savez comme mon mari et moi sommes différents. Je suis certes tunisienne, mais je parle mal l’arabe et je fais venir mon café de France. Je crois en un Dieu de miséricorde et mon mari, comme nombre de ses camarades ne crois plus en rien. Sa cave est pleine de Johnny Walkers et, s’il fait le ramadan, il ne jeune pas et il s’empiffre dès le coucher du soleil.. Et puis il crie beaucoup vous savez, Monsieur François ; il ne me bat pas, il a trop peur de mon père, le propriétaire,  mais il crie beaucoup. Je n’en peux plus. Je n’ai personne à qui parler, ni frère, ni sœur, ni cousins, ni amis. Les autres me disent, pauvres cloches : Prends sur toi, élève l’enfant, supporte, et  ça passera…Je n’en peux plus, je ne dors plus, j’étouffe partout, et même les petits enfants de l’école où je leur lis « Lili ne veut pas se coucher » , « Papa et maman divorcent » ou les Aventures de Tom-Tom, de Nana et de la famille Dubouchon, n’arrivent pas à me consoler…

 

Serrant son vieux sac contre elle, Myriam ne regardait pas les flamants rose égarés sur le lac ni, tout au fond, tel un mirage étincelant, les silhouettes blanches des quartiers de Tunis éparpillés à flanc de coteau…

 

Mais encore, dis-je, sentant qu’elle ne demandait qu’une légère petite poussée pour continuer.

 

Ah oui, il y a autre chose. Et elle entoura son visage de ses mains manucurées. Mon fils, vous savez, le grand Samir, vous savez ce qu’il m’a dit hier soir, de sa nouvelle grosse voix, le poing tremblant ?Que si je divorçais, il allait se tuer ! C’est vrai qu’il pourrait le faire Monsieur François ?Voix brisée, pathétique. Je ne souriais plus du tout

 

Je connaissais le petit. Quinze ans aux figues, un mètre quatre-vingt-cinq, quatre-vingt-dix kilos déjà, tête de boxer, niais, hautain et pleutre. Le vrai cadeau. Fils unique. Chaîne stéréo, MP3 et portable avec photos intégrées. Empêtré dans de gros besoins sexuels. Ne se mélange pas avec les aimables petits bandits qui sautent, gaillards et fanfarons dans le canal aux premiers beaux jours. Pas mauvais bougre certes, ayant hérité du grand-père le fameux sourire enjôleur. 

Classique chantage au suicide, mais à surveiller de près, comme le lait sur le feu.

 

Et là le cri du cœur, il fallait frapper un grand coup, un aller-retour comme disait ma chère mère lorsqu’elle parlait des coups de colère de son père, indigné. Pour l’aller, l’argument massue, tangent, mais efficace du fils mafflu mais  douillet : Votre grand garçon, se suicider, mais il faut du courage pour ça ! Il hésite même à aller se baigner quand l’eau n’est pas bouillante ! Et pour le retour, l’argument teigneux, un rien petit : Il est affolé à l’idée, non de vous perdre, mais de perdre la première femme de sa vie, qui lui rends ses jours doux, bien repassés et très bien nourris !

 

Vous croyez, Monsieur François ? Je sentis qu’elle se détendait un peu, et je vis ses mains desserrer l’étau autour du vieux sac en corde, qui, du coup, émis un chuintement bienheureux. Elle se redressa légèrement , lissa ses cheveux tirés. Au loin commençaient à poindre les toits verts de la gare du Tunis-La Goulette-La Marsa, le TGM, le vieux train du chemin beylical vers le mer qui relie Tunis l’oppressée, Tunis la bruyante aux rivages venteux  de Carthage et de Sidi bou Said. Jeannette elle-même, que je savais tendue, à l’écoute anxieuse de la complainte de dame Myriam, repris une allure décente et fila vers son destin.

 

Ce fut alors qu’un cri rentré de petite souris prise au piège nous replongea dans l’affliction. Ma voisine venait tout soudain de se mettre une horrible catastrophe dans le tête, une de plus, et elle tourna franchement vers moi un visage tourmenté d’effroi sous le blush discret : Et si Dieu allait me punir ?Le mariage est sacré, Dieu va me punir !

 

Il fallait intervenir. Nous ne pouvions laisser ainsi cette bonne dame, déjà assommée par la perspective de prendre enfin sa vie en main, et  le risque de voir son fils se retourner contre elle, nous ne pouvions la laisser flotter dans ce magma de souffrances. Jeannette ralenti et je pris ma voix la plus « prophète-au-regard-bleu-qui-connaît-la-vie » : Ecoutez moi bien, Myriam (le cher avait passé par-dessus bord) et retenez ces mots. Dieu, s’il existe, est amour, il ne veut pas votre malheur, et d’abord il n’a pas à espionner ce qui se passe dans votre chambre à coucher. Cela ne le regarde pas, laissez le vaquer à de grandes affaires.

 

Quelques minutes de silence. Nous approchions de l’horloge dorée et des fleuristes, si tristes depuis qu’ils ont été chassés de l’Avenue Bourguibab. Ma        voisine semblait d’un coup apaisée : elle avait reçu les paroles qu’elle attendait. Elle opéra une transformation spectaculaire en une seconde : lâchage de cheveux, remontée de jupe sur les cuisses,  abaissement du chemisier sur un léger décolleté. Elle me susurra :

 

Monsieur François, je peux vous demander de nous arrêter un instant : je dois acheter des glaïeuls pour ma vielle tante ! Voilà là, un peu plus loin, ils sont splendides.

 

Se pencha alors vers elle un jeune gazou des plus musclé, voix grave et joli paquet. Il lui glissa un petit bouquet de jasmin dans le creux des seins. Elle gloussa et porta sa main à son cœur.

 

Jeannette et moi pouvions repartir tranquilles. Madame Myriam saura négocier ses tourments.

 

Copyright : François Bussac

 Tunis Juin 2006


 

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> 27 Janvier 2011 Présentation à La librairie Millefeuilles de la Marsa Les Eclats du Sémaphore. > Dec 2010, Fev 2011 Préparation de la lecture spectacle sur le jardinier Mise en scène : Habib Mansouri > 10 décembre 2010 Présentation à ARt-Libris des Nouvelles des deux rives : Nouvelles de la Rue Linné et Tunis Cap-TGM avec exposition de photo de N. Bouzouiaya et M. Catzaras > 31 octobre 2010 : présentation du Jardinier à Metlaoui, à la Compagnie des Phosphates, à Metlaoui > Mi Octobre 2010 : présentation à la librairie MilleFeuilles à la Marsa, Nouvelles des deux rives, lecture-exposition de Nouvelles de la Rue Linné (Photos : Nabil Bouzouaya) et Tunis Cap TGM (Photos : Marianne Catzaras) < Samedi 22 Mai 2010 : In spectacle Slam Art Village, lecture en musique d'extraits du Jardinier de Metlaoui au théâtre Mad'Art de Carthage >Mai 2010 : Sortie à La Nef de Éclats du Sémaphore, présentation dans la Médina > Janvier 2010 à Paris, sortie et présentation des deux recueils de nouvelles aux éditions Orizons : Les Garçons sensibles et Nouvelles de la Rue Linné > Octobre Novembre 2009 : Sortie et Présentation de Tunis Cap TGM aux éditions Arabesque, Tunis > A Tunis, Septembre, décembre 2009, présentation du Jardinier de Metlaoui à Art-Libris, interview à RTCI (avec Emna Louzir) > Octobre 2009 : parution dans la Collection livres en Musiques, production Art Records, de deux disques, Le Jardinier du Désert regroupant 9 des 23 chapitres lus avec musique originale composée par Kerim Bouzouita > Mai-Septembre 2009 : Présentation du "Jardinier du Metlaoui" à Paris, l'Harmattan, plusieurs librairies, à la Médiathèque José Cabanis de Toulouse etc. Présentation à la Maison du Poilu à Villars-sur-Vars, le 1è septembre >15 Mars 2009 - Lectures poèmes de Abou el Kacem Chebbi au Festival du film tunisien à Paris
 
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