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Le Jardinier de Metlaoui

Le roman, Le Jardinier de Metlaoui, édité par L’Harmattan en 2009 a fait l’objet d’un enregistrement de 9 des 23 chapitres accompagnés d’une musique originale de Kerim Bouzouita. Ce roman a beaucoup plu au jeune metteur en scène tunisien Habib Mansouri et une lecture spectacle est actuellement en cours de montage, pour une présentation inchallah en 2011. Cette lecture comporte six chapitre dont voici le premier.

 

 

 

Chapitre/Acte 1

 

La Mine

Ce récit est  l’histoire d’un jardin. D’un jardin extraordinaire, comme dans la chanson, et que fit naître, aux marches du désert, mon grand-père, à l’aube du siècle dernier. Au fin fond de la Tunisie du Protectorat.

 

Le phosphate affleure les collines austères, le vent de sable s’infiltre sous la porte qui chuinte. Ce soir là, de retour de la mine, mains, pieds et visage lavés au savon de Marseille, Grand-papa, seul dans sa modeste demeure, écrit. A sa fille aînée Marcelle. Elle a 15 ans. Elle est pensionnaire chez les Dames de Saint Joseph de l’Apparition, rue Sidi Saber, à quelques ruelles de l’imposante Porte de France, à Tunis, qui marque la frontière entre la ville européenne et la Médina séculaire : J’ai reçu ta lettre en date du 4 Avril (1909). Je suis toujours heureux de ta bonne santé, et cela me permet de penser que ta vie de pensionnaire bien réglée t’est profitable sous tous les rapports. Je désire connaître ton bulletin de Mars, concernant ta conduite et tes études. N’oublie donc pas de me l’envoyer dans ta prochaine lettre.

 

De fait, quelques temps après, la jolie Marcelle s’exécute :

 

Bulletin de Mars 1909, classe de troisième.

Catéchisme                                                    8

Langue italienne                                            7

Conduite                                                         8                                                   

Ordre et bonne tenue                                     9

Devoirs généraux                                          9                                   

 Politesse                                                        9

Leçons générales                                           8,5                                   

Exactitude                                                      10

Langue française                                           9

Dessin                                                             8

Langue italienne                                            7

Etude                                                              9

 

La maîtresse, Sœur Christophe

 

Plus que les notes, ce qui me fascine dans cette litanie désuète ce sont les matières ! Sur les onze, quatre concernent le seul comportement, l’italien est enseigné, et non l’arabe, et le catéchisme, mais ce n’est pas une surprise, est premier sur la liste. Tout est dit, en « creux » : la primauté de la tenue et du caractère sur la connaissance et le sens critique, le mépris ordinaire pour  la langue de l’autre, les liens séculaires avec le voisin italien, et surtout  l’omniprésence de Dieu. La Maison des Soeurs rue Sidi Saber, havre de paix, est encerclée de Mosquées, à l’ombre de la grande Zitouna de très auguste mémoire. On y pratique une résistance de bon aloi, apte à forger des demoiselles solidement campées sur leurs féminités fécondes…    

 

Son devoir de père accompli, Henri s’en retourne vers son cher jardin de roses. En ce crépuscule de Juin 1909, il a ôté ses babouches et remonté le bas de son pantalon de toile. La prière du soir s’étend sur les derniers rayons du soleil qui se perdent dans les palmiers nourriciers berçant ce fragile rectangle de verdure au pied de la falaise rouge, son Jardin du Lousif. Plus haut, à flanc de coteau, circulent les wagonnets grinçants qui mènent la précieuse poudre de la mine à la gare. Un gros tuyau permet à l’eau de suivre le même chemin et d’humecter régulièrement les rails brûlants sous le soleil impérieux. Des gouttelettes ne cessent de s’échapper qu’il récupère, jour après jour, nuit après nuit, grâce à un astucieux assemblage de bambous, de petits canaux bordés de poteries ébréchées et de minuscules barrages où repose l’eau bienfaisante. Tous les soirs il parle à ses roses, suivi des deux chats Hannibal et Alexandre qui veillent sur les lieux et qui tiennent serpents et mulots éloignés. Il pouvait en paix arpenter son domaine. Ce soir là, il demande conseil à ses roses préférées. Le Petit Prince n’était pas encore né, mais sur les marches du désert, lorsque fleurit la rose, l’homme la contemple et vénère sa beauté, cette fugitive beauté qui permet à Henri de supporter son enfer. Son chemin de croix, « tout pavé de braises rouges », comme il est écrit dans le conte d’Alphonse Daudet. L’air est sec, le vent entêtant, l’eau rare. Grands silences âpres. Il relit ses dernières écritures : Hélas, la vie à ses déchirements, ses tristesses, ses amertumes, elle a aussi et surtout ses sacrifices et ses devoirs…Le mien de devoir consiste à retourner là-bas dans le pays du sable et du désert farouche…à affronter les torrides étés, les brûlants siroccos, les nuits étouffantes chassant le sommeil réparateur pour ne vous laisser qu’une anémiante nervosité qui terrasse et tue parfois les plus robustes. Ah ! La vie coloniale ! Quelle mangeuse d’hommes et de raisons ! Surtout dans cet extrême sud tunisien où la Nature, cette grande capricieuse, est si avare de faveurs !

 

   Monde rude que celui de la Mine. Une nature farouche, qui ne demandait rien, et qui en dix ans fut lacérée par le fer et éventrée par le feu. Le chemin de fer et la dynamite, sur toutes les latitudes, précèdent les galeries et les puits, ces antres de Vulcain. Rien de tendre, rien de moelleux, un univers d’hommes, une discipline militaire, la tyrannie des chiffres. Et des bruits nouveaux qui n’avaient jamais troublés ceux du vent dans les palmes, ou de la cascade dans l’oasis. Les explosions sourdes, les grincements des wagonnets au petit matin, les tenailles qui arrachent, les hoquets des soudards dépités.

 

 La Compagnie est une Hydre silencieuse qui étends depuis Paris ses bras tentaculaires : elle décide de tout, contrôle tout, voit tout. Elle a vite compris, avant même les bureaucrates, tout le parti qu’elle pouvait tirer de pareilles richesses surveillées par l’armée coloniale, avec la bénédiction du Gouvernement Beylical. La révolution agricole est en route en Europe, et les engrais indispensables aux rendements forts. La Compagnie pratique avec une parfaite bonne conscience et des privilèges dignes de l’Ancien Régime l’économie de prélèvement. C’est Le Grand Capital dans toute sa splendeur marchande, technique et financière. Grand-papa souligne que la majorité des ouvriers n’étaient pas  avant la première guerre tunisiens, mais kabyles, marocains, tripolitains. Avec la ruée de financiers audacieux, entre deux colonnes de glorieux spahis, suivi de brillants ingénieurs, de courageux cheminots et d’artificiers flamboyants, et ensuite  d’excellentes bonnes sœurs, la grande paix nomade pris fin dans ce coin de paradis avec la mainmise de l’hydre capitaliste. Ce sentiment d’être piégé, on le retrouve à toutes les pages des mémoires d’Henri Wiesser. C’est le premier cercle de l’enfer. Envahi de mécaniques, comptable des foudroyages, gérant au jour le jour câbles, bâtons de dynamite, billes de bois,  tenailles et clous, il sait qu’il n’est qu’un rouage, et il dit bien en mars 1914 : la sueur du travailleur contribue en somme à augmenter le bas de laine du riche !

 

Il échappe comme il peut à l’emprise d’une nature difficile et d’un système pesant en exerçant ses petites libertés, à commencer par ce journal fleuve qui le restitue dans toute sa farouche indépendance d’esprit. Journal où il consigne religieusement toutes les lettres qu’il adresse aux femmes de sa famille, sa femme, Rose, maman Rose, et ses quatre filles Marcelle, Antonia, et bientôt la petite Bernadette, et la benjamine, Augusta. Il se prend pour Robin des Bois et s’exerce à de  menus larcins : En passant devant la plantation d’oliviers qui bordent la route, je me suis amusé à remplir mes poches de belles olives noires et déjà mûres. C’est un petit chapardage bien inoffensif puisque la Compagnie ne daigne pas chaque année de faire cueillir des fruits. Elle se fiche pas mal de quelques boisseaux d’olives !  Le phosphate lui rapportant chaque année 12 à 14 millions de francs de bénéfices absolus nets, et que se partagent MM les actionnaires. Un atome de ce fabuleux lingot d’or tombe bien dans la poche des employés de ma catégorie ! Mais ce n’est qu’un atome, puisque la part des bénéfices réservés aux employés n’atteint pas 50000 francs, et nous sommes 300 employés Français ! (8 oct. 1914).

 

   Henri l’insoumis n’est pas dupe, et dans le silence de ses nuits solitaires, il tempête à longueur de pages contre « l’Organisation ». Il se garde pourtant de l’attaquer de front. Non pas simplement par prudence, il  tient à son salaire, mais par une sourde révérence envers l’ampleur de la vision, la somme des résultats techniques, la force de la modernité. Après avoir consigné en secret ses diatribes, Henri dîne seul d’une soupe de carottes, d’une omelette et d’un bout de fromage de chèvre. Il n’est pas le seul à être séparé des siens. Les mineurs sont le plus souvent célibataires obligés, le temps de mettre de côté la pelote qui permettra de prendre épouse. D’autres cherchent à oublier leur destin perdu. Henri note le 23 mai 1914 : On a descendu hier à l’hôpital de Metlaoui, le chef de poste Blanc de la Mine. Ce français alcoolique invétéré est lui-même la cause de son mal…30 Mai : Ce soir nous avons conduit le pauvre Blanc à sa dernière demeure.  Il est profondément affligeant de mourir ainsi loin de sa patrie ! Adieu, père Blanc !! Dors ! Dors dans l’irradiant soleil de notre Sud tunisien ! Dors dans le silence introublé des crépuscules !

 

Mais par un étrange retournement, les victimes aiment leurs bourreaux. Malgré ces tensions, ces rudes conditions de travail, ces dangers physiques, la Mine telle une monstrueuse Méduse déesse de l’hypnose, exerce une fascination, qui ne se dément pas : Tous, nous avons hâte que le travail reprenne, car c’est si triste, si ennuyeux de ne pas entendre du mouvement, ce tapage, ces cris, le roulement des berlines, et le versement brusque du minerai  tombant avec un bruit d’enfer dans les wagons. Oui la Mine est bien triste quand, au lieu d’une bruyante mais quand même d’une joyeuse activité, plane sur Elle (c’est Henri qui met une majuscule) le silence du jour de grève.

 

 

 

 

En voix off:

 

Bientôt le petit monde de la Mine sera bouleversé. Ni fêtes ni  fanfares ! L’onde de la mort atteindra le sud tunisien.  La Mine ne sera plus jamais comme avant. Les regards, les équilibres vont se déplacer. Roumis et arabes, jusqu’alors indifférents ou adversaires, arriveront à se considérer autrement. Des liens nouveaux seront crées, entre lieutenants et fantassins unis dans leur détermination à en découdre avec l’ennemi et dans leurs communs souvenirs de la terre des oliviers séculaires, des jasmins fous et du couscous boulette des grand-mères juives, musulmanes ou chrétiennes. L’immense mur entre européens et arabes se fissurera. Henri, le premier, parlera avec plus d’attention des ouvriers, des musulmans, de ses voisins de tous les jours, avec qui il échangeait légumes et fruits. La Guerre va changer la donne. Henri, que son âge contraint à ne pas être mobilisé, va vivre cette guerre, intensément. Et, à sa manière, du fonds de Metlaoui, Henri va faire sa guerre.

 

 


 

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Hier et Demain
> 27 Janvier 2011 Présentation à La librairie Millefeuilles de la Marsa Les Eclats du Sémaphore. > Dec 2010, Fev 2011 Préparation de la lecture spectacle sur le jardinier Mise en scène : Habib Mansouri > 10 décembre 2010 Présentation à ARt-Libris des Nouvelles des deux rives : Nouvelles de la Rue Linné et Tunis Cap-TGM avec exposition de photo de N. Bouzouiaya et M. Catzaras > 31 octobre 2010 : présentation du Jardinier à Metlaoui, à la Compagnie des Phosphates, à Metlaoui > Mi Octobre 2010 : présentation à la librairie MilleFeuilles à la Marsa, Nouvelles des deux rives, lecture-exposition de Nouvelles de la Rue Linné (Photos : Nabil Bouzouaya) et Tunis Cap TGM (Photos : Marianne Catzaras) < Samedi 22 Mai 2010 : In spectacle Slam Art Village, lecture en musique d'extraits du Jardinier de Metlaoui au théâtre Mad'Art de Carthage >Mai 2010 : Sortie à La Nef de Éclats du Sémaphore, présentation dans la Médina > Janvier 2010 à Paris, sortie et présentation des deux recueils de nouvelles aux éditions Orizons : Les Garçons sensibles et Nouvelles de la Rue Linné > Octobre Novembre 2009 : Sortie et Présentation de Tunis Cap TGM aux éditions Arabesque, Tunis > A Tunis, Septembre, décembre 2009, présentation du Jardinier de Metlaoui à Art-Libris, interview à RTCI (avec Emna Louzir) > Octobre 2009 : parution dans la Collection livres en Musiques, production Art Records, de deux disques, Le Jardinier du Désert regroupant 9 des 23 chapitres lus avec musique originale composée par Kerim Bouzouita > Mai-Septembre 2009 : Présentation du "Jardinier du Metlaoui" à Paris, l'Harmattan, plusieurs librairies, à la Médiathèque José Cabanis de Toulouse etc. Présentation à la Maison du Poilu à Villars-sur-Vars, le 1è septembre >15 Mars 2009 - Lectures poèmes de Abou el Kacem Chebbi au Festival du film tunisien à Paris
 
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