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Nouvelles de la rue Linné

Paru en janvier 2010 aux edition Orizons, à Paros, Les Nouvelles de la Rue Linné et des petites japonaises ont été illustrées par Nabil Bouzouita. Nous vous en proposons un extrait.

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Les amoureux vermeils du troisième gauche

 

Tous les soirs, alors que les hordes d'étudiants matheux de Jussieu s'engouffraient sous terre, on pouvait saluer, portant bon son sourire de septuagénaire béni des dieux, le Docteur Antoine- David Faruggia venu cueillir sa belle.

 

C'était le plus beau moment de sa journée. Les heures d'attente lui étaient légères. Et lorsqu'Elle apparaissait, sortant de l'ombre par la grâce d'une machinerie magique comme Vénus de l'onde, son chignon piqueté d'ambre et ses châles de cashmere ondoyants sur ses amples épaules, elle n'avait d'yeux que pour lui, son havre, son amoureux, son mari des temps vermeils. Le Capitaine, revenant de prendre le frais sur les quais voisins, passait alors au large, discret et ému, aimant à les suivre du regard alors que, main dans la main, ils regagnaient leur aimable capharnaüm au fonds de

la Cour du Dedans.

 

Ce n'est pas un hasard, tout bien réfléchi, si le cher Docteur est le premier des personnages à apparaître au cours de ce récit. Il portait en lui, longuement pétrie à l'aune des années et des méditations, cette valeur d'un autre âge que l'on appelle réconciliation. Le Capitaine, entre ces cours du vieux Paris, s'était réconcilié avec lui-même, et il en mesurait le prix. Il n'était pas très sûr, en revanche, d'être en totale communion avec le monde tel qu'il se présentait, mais cela était une autre histoire.

 

Antoine- David était né à Tunis, entre patio et jardin, au temps où

la Société des Nations portait haut l'ambition de la coexistence pacifique, dans cette ville qui, à l'instar de Cordoue ou d'Alexandrie voyait se croiser sans acrimonie les fils des trois religions du Livre éparpillés autour de la Mer Méditerranée. Chrétien d'origine, il parlait arabe avec ses voisins et avait même été embrigadé dans une bar-mitsva à la Synagogue au coin de la rue. Cela l'avait marqué à vie, et Antoine devint -et resta- Antoine-David. De là datait son intérêt pour les textes anciens et pour cette étrange Kabbale qui remonte à la nuit des temps et qu'il ne cesse d'ausculter.

 

Sa guerre avait été courageuse, en Italie en particulier, et le petit gars rieur et friand de soleil et de femmes opulentes se trouva enrôlé dans la drôle de guerre. Il n'a toujours pas compris comment, lui qui frétillait si joyeusement, lors des migrations familiales d’été, dans l'eau du port de

La Goulette, il se retrouva chasseur alpin, le béret crâne posé de travers, et au cou, sous le marcel, au chaud contre ses pectoraux de jeune coq enchanté de la vie, la croix du Christ, la croix de David et la Main de Fatma.

 

Un peu sonné, mais glorieux au lendemain du débarquement, il monta à Paris avec dans ses hardes le saucisson sec et le jambon cru de la grand-mère corse qu'il était allé rassurer sur son chemin. Il fréquenta, derrière Saint Sulpice une Ecole de Dentisterie et passa quelques belles années, au temps de Boris Vian et des goualantes de Juliette Gréco, à rendre des hommages triomphants, soirs et matins, au beau sexe.

 

Son diplôme en poche, il retourna parader dans la maison familiale de l'Avenue de France, près du Lycée Carnot, à Tunis et sa mère lui présenta une lointaine cousine, Hortensia Capricio. Elle était tout le contraire de ses compagnes habituelles, aimables Rubens accueillantes. Elle était réservée, menue, mais ferme de poitrine et ses yeux verts, sous les cils fournis, lançaient des oeillades efficaces. Il tomba sous le charme et l'épousa après des fiançailles convenables qui lui permirent de saluer dignement, une dernière fois, ses conquêtes parisiennes. Il découvrit, un petit matin, après une nuit bien arrosée du côté des troquets de ce qui fût

la Halle aux Vins- et où s'élèvent de nos jours les grandes laideurs universitaires de Jussieu et le rêve oriental de l'Institut du monde arabe- la maison de la rue Linné. Il n'y avait pas encore, Dieu merci, ces codes secrets qui rompent la spontanéité des visites de quartier. Un appartement y était à vendre donnant sur la Cour du Dedans, quatre petites pièces en enfilade du type grand genre petits moyens. Il y abrita ses premières amours conjugales.

 

Quarante ans après il y était encore, mais veuf et portant en lui une blessure tragique : son fils de vingt ans avait disparu, désemparé devant la vie qui s'offrait à lui, malgré tout l'amour de ses parents. De cela notre bon docteur, malgré ses joies de vivre et ses prières à Dieu, à Yahvé et à Allah ne se consola jamais. Même ses bonnes amies, qu'il revoyait parfois pour alléger son veuvage, n'arrivaient pas à adoucir son coeur. Il pensait que le mauvais oeil était sur lui.

 

Seules ses promenades aurorales au Jardin des Plantes lui redonnaient le goût de sourire. Il frôlait

la Fontaine Cuvier et ne manquait jamais de marmonner sacrés nénés devant les somptueux attributs de cette Dame qui régentait félins et reptiles. Il se perdait dans le Labyrinthe et méditait sous la Gloriette de Buffon, qui faisait déjà partie du Jardin du Roy en 1636! Parfois de pétillantes petites japonaises, chapeautées de cloches pomme ou prune venaient le taquiner et il repartait un peu plus léger.

 

L'année de sa retraite il se demandait s'il devait se résigner à lentement à rejoindre la terre de ses ancêtres, lorsque, au cours d'une de ses dernières tournées d'inspection des dentitions municipales, il fut accueilli, dans un foyer de filles perdues du côté de Ménilmontant par la directrice. Superbe créature au commande de ce frêle esquif féminin assailli de mâles en manque d'amour, elle savait naviguer entre les subventions aléatoires d'une ville parcimonieuse, les soubresauts inexpliqués de ses pensionnaires esseulées, et ce quotidien coloré qui finissait souvent par des chahuts endiablés.

 

Emilienne Beaurepaire, née de

la Roche-Moldu, était de la trempe dont on fabrique les pionnières. Cadette d'une ribambelle de jeunes filles très bretonnes et très catholiques de bonne souche et de piètres revenus, elle s'était embarquée

pour l'Orient à l'aube de ses vingt ans au bras d'un pasteur exalté et joliment barbu. Elle avait tâté du kibboutz et, chose assez remarquable à l'époque, avait séjourné dans les camps palestiniens. Elle avait écouté les vies des deux côtés de la frontière, lu les écrits juifs des années vingt, et ceux d'Edward Saïd et de Mahmoud Darwich. Elle jugeait sévèrement les politiques anglaises de l'après-guerre. Elle ne voyait de solution que dans un miracle. Et son bon sens breton renâclait aux miracles.

 

Mais il ne faut jamais dire : Fontaine...

 

Elle fut touchée ce soir-là, une fois sa tournée achevée, lorsque Antoine- David lui prit la main. Il n'avait cessé de la contempler, de son regard rieur et gamin. Il savait. Dès qu'il l'avait aperçue au gouvernail, il savait. Et elle, d'ordinaire réservée, fut prise d'une logorrhée soudaine, expliquant ceci, analysant cela, se soûlant de mots pour ne pas s'avouer que ce petit docteur chauve la remuait de fonds en comble.

Instantanément, lorsqu'il lui prit la main, elle se tut. Le monde retint son souffle. A son tour, et très lentement, elle se tourna vers lui, et là il se passa quelque chose d'incroyable, de très doux : comme des enfants à la récréation, ils balancèrent en silence leurs deux mains croisées, esquissèrent un pas de danse, leurs visages pétillant de malice et tournoyèrent sur eux-mêmes, au début un peu hésitants,

puis rassurés, rapidement, comme des toupies triomphantes. Ils riaient, ils riaient, et ne s'arrêtèrent, essoufflés, tombés par terre, que lorsque, derrière la porte, ils entendirent en écho les rires assemblés des filles naufragées. Elles s'y connaissaient, elles, en coups de foudre, en amours- toujours et elles avaient deviné que ces deux-là s'étaient trouvés, vermeils ou pas, et qu'ils ne se quitteraient jamais plus.

Et notre expert maison es-amours, le cher voisin-voisine que nous rencontrerons bientôt, ne pouvait les évoquer sans soupirer à fendre l’âme. Même May l’anglaise aux grands pieds qui campait dans un minuscule réduit Cours du Dehors n’y trouvait rien à redire. Ils avaient tous raison.

 

Et entre nos deux Cours, nous savions, du rez-de-chaussée a l'étage des chambres de bonne- où veillait le Capitaine qu'il régnait au troisième gauche un miracle quotidien. On s’y arrêtait en silence pour en respirer les bonnes ondes. On

pouvait s'y réchauffer lorsque le doute taraudait les esprits. On était tranquilles. L'amour ça existait. Il se portait bien, il était vivant, et pour une fois Dieu avait bien fait son travail.

Il était grand.

 


 

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> 27 Janvier 2011 Présentation à La librairie Millefeuilles de la Marsa Les Eclats du Sémaphore. > Dec 2010, Fev 2011 Préparation de la lecture spectacle sur le jardinier Mise en scène : Habib Mansouri > 10 décembre 2010 Présentation à ARt-Libris des Nouvelles des deux rives : Nouvelles de la Rue Linné et Tunis Cap-TGM avec exposition de photo de N. Bouzouiaya et M. Catzaras > 31 octobre 2010 : présentation du Jardinier à Metlaoui, à la Compagnie des Phosphates, à Metlaoui > Mi Octobre 2010 : présentation à la librairie MilleFeuilles à la Marsa, Nouvelles des deux rives, lecture-exposition de Nouvelles de la Rue Linné (Photos : Nabil Bouzouaya) et Tunis Cap TGM (Photos : Marianne Catzaras) < Samedi 22 Mai 2010 : In spectacle Slam Art Village, lecture en musique d'extraits du Jardinier de Metlaoui au théâtre Mad'Art de Carthage >Mai 2010 : Sortie à La Nef de Éclats du Sémaphore, présentation dans la Médina > Janvier 2010 à Paris, sortie et présentation des deux recueils de nouvelles aux éditions Orizons : Les Garçons sensibles et Nouvelles de la Rue Linné > Octobre Novembre 2009 : Sortie et Présentation de Tunis Cap TGM aux éditions Arabesque, Tunis > A Tunis, Septembre, décembre 2009, présentation du Jardinier de Metlaoui à Art-Libris, interview à RTCI (avec Emna Louzir) > Octobre 2009 : parution dans la Collection livres en Musiques, production Art Records, de deux disques, Le Jardinier du Désert regroupant 9 des 23 chapitres lus avec musique originale composée par Kerim Bouzouita > Mai-Septembre 2009 : Présentation du "Jardinier du Metlaoui" à Paris, l'Harmattan, plusieurs librairies, à la Médiathèque José Cabanis de Toulouse etc. Présentation à la Maison du Poilu à Villars-sur-Vars, le 1è septembre >15 Mars 2009 - Lectures poèmes de Abou el Kacem Chebbi au Festival du film tunisien à Paris
 
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